Ménil-sur-Belvitte

Août 1914
L’Ubaye et Ménil-sur-Belvitte (Vosges)

 

Ménil sur Belvitte

 

Début 2008 j'avais présenté dans la rubrique "la carte du mois" une carte de Ménil-sur-Belvitte représentant une cérémonie militaire du 4e Anniversaire, sur laquelle figurait le drapeau de Barcelonnette, avec comme commentaire une simple question : Quelle était cette cérémonie ?
C'est en mars 2009 qu'Yvon Arnaud de Fours, passionné par l'histoire de sa vallée, découvre en feuilletant le registre des délibérations de sa commune qu'en 1922 une somme importante avait été votée pour la réalisation d'un monument à la gloire de l'Infanterie alpine à Ménil. Rencontrant par hasard Hubert Tassel, féru d'histoire militaire et président de l'amicale des anciens chasseurs, il lui demande si ce nom évoque quelque chose pour lui. Ce lieu lui était inconnu mais quelques semaines plus tard, Hubert Tassel aura le fin mot de l'histoire lors d'un rassemblement à Beuil avec l'amicale des anciens du 22e Bataillon de Chasseurs alpins où il rencontre le colonel Henri Béraud, célèbre historien, qui le renseignera sur les combats de Ménil-sur-Belvitte.
En mémoire de ces Ubayens tombés dans les Vosges, Hubert Tassel à rédigé un historique de ce tragique épisode quelque peu oublié de notre histoire.

 

 

1er août 1914, l’évènement tant redouté en France est proclamé dans tous les journaux : Ordre de mobilisation générale. Le lendemain, la gendarmerie le retransmet au 157ème Régiment d'Infanterie de Ligne dont deux bataillons stationnent en Ubaye à Tournoux, Jausiers, Viraysse, Roche-La-Croix et St Vincent les Forts. La mission du régiment est de défendre le col de Larche et les cols avoisinants. Au début de l’été de 1914, il est installé préventivement sur la frontière. Le 3 août, l’Italie déclarant sa neutralité, le régiment est mis à la disposition de l’état-major.

Le 4 août, c’est la déclaration de guerre.
Le régiment au sein duquel de nombreux Ubayens font leur service militaire de trois ans, rejoint ses casernements et se met sur pied de guerre. Il reçoit ses réservistes jusqu’au 7 août. Le 12, il est prêt. Le 13, il rejoint Chorges et s’embarque pour l’Alsace le 17 à bord de 5 trains.
Le 18, il débarque à Belfort. Dès le 19 août, il est engagé et c’est le baptême du feu à Walheim près de Mulhouse. Léon Donneaud de Larche est sans doute le 1er tué ubayen de ce conflit.
La situation se dégradant dans les Vosges, les Allemands tentent de percer vers le sud, par la trouée de Charmes, entre Baccarat et Raon-L’étape. Des troupes françaises sont envoyées en renfort. Le régiment rembarque donc le 23 à Belfort pour rejoindre St-Dié où il arrive le 25 août.
A marche forcée, il rejoint le village de Ménil-sur-Belvitte qu’il faut absolument défendre afin de s’emparer du col de la Chipotte, carrefour crucial au bord des Vosges tenu par les Allemands. Du 25 au 1er septembre, de nombreuses attaques successives de tous les bataillons du 15/7 et d’autres régiments permettent enfin à la 44ème Division de reprendre le col de la Chipotte après avoir reconquis le village de Ménil-sur-Belvitte.
Mais à quel prix ! 401 combattants du 15/7 périrent le 28 août à Ménil dont au moins 25 Ubayens. Pour l’Ubaye, ce fut un terrible choc. A peine une quinzaine de jours après le début du conflit, en une seule journée, 25 jeunes gens de notre vallée sont « tués à l’ennemi » selon l’expression officielle écrite sur les avis de décès. Si, par la suite, durant ces quatre années de guerre, d’autres Ubayens tomberont au front, aucune autre bataille n’aura le même retentissement. Même les pertes ubayennes occasionnées à Verdun ou au Chemin des Dames seront moindres.

D’emblée, l’Ubaye fait preuve de courage et d’esprit de solidarité. Les municipalités s’occupent des familles meurtries. Les voisins eux aussi spontanément les soutiennent et participent aux travaux des champs. Partout, dans les cafés ou ailleurs, on parle de Ménil, petit village de 300 habitants situé au milieu des collines qui bordent le massif vosgien, village dont personne ne connaissait le nom auparavant.
Peu à peu, des comités de secours aux soldats se créent. On envoie des colis pour les combattants. Pour les soutenir moralement, on leur écrit aussi des cartes postales dont la transmission est facilitée par les Postes et Télégraphes.
Dans les écoles, on apprend à tricoter des chaussettes ou des tours de cou pour nos braves soldats. Les paysans qui restent, fournissent des pommes de terre qui sont transportées en train pour le front.

Dès 1915, on rend hommage aux « Morts pour la France » tombés à Ménil. Et ceci, grâce à l’Abbé Collé, curé du village, qui a vécu ces combats durant dix-neuf jours autour de sa commune. En pleine bataille, il s’occupe des blessés et transforme son presbytère en infirmerie. Avec quelques paroissiens, il enterre sommairement les nombreux morts.
Pour marquer ce lieu de mémoire et de sacrifice, l’abbé Collé s’active et va rechercher sur le terrain des souvenirs, des objets personnels, des armes. Il s’occupe des tombes. Il crée dans une partie du presbytère, partiellement détruit, le premier musée souvenir de ce conflit qu’il appelle « le Musée de la Bataille ». Puis il écrit à toutes les communes concernées et leur demande l’envoi de drapeaux. En Ubaye, une souscription est faite pour réaliser un drapeau en soie. Ce premier drapeau est confectionné par des jeunes filles, acheminé au musée dès 1915. Plus tard, toujours à la demande de l’abbé Collé qui désire un drapeau officiel de toutes les communes ayant des enfants tués au Ménil, la ville de Barcelonnette décide à son tour, le 27 septembre 1917, de réaliser un drapeau aux armes de la cité. Il est confectionné par les dames du Comité de la Croix-Rouge et baptisé lors d’une messe mémorable dans l’église de Barcelonnette le 22 mars 1918 par l’abbé Chabot.
La municipalité et les familles l’amène ensuite à Ménil pour le 4ème anniversaire de la bataille qui a lieu le 27 août 1918. Par la suite, chaque année, des familles ubayennes accompagnées des délégations municipales se rendent en pèlerinage à Ménil.
Mais l’infatigable curé de Ménil, qui reçut en 1917 la Croix de Guerre pour son action au milieu des combats, ne s’arrête pas là. Il prend l’initiative, en 1922, de construire un mémorial à la gloire de l’Infanterie Alpine. Des communes comme celles de Fours et de Barcelonnette votent des sommes importantes (pour l’époque) destinées à la création de ce magnifique monument enfin terminé en 1927. La nécropole militaire qui jouxte ce monument est toujours entretenue par le Secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants. On y trouve de nombreuses tombes d’Ubayens comme celle d’Elie Bellon de Fours avec le numéro 422.

Jusqu’au début de la seconde Guerre Mondiale, l’Ubaye se souvient et tous les ans, en août, rend hommage à ses héros en allant à Ménil. En 1944, les Allemands en pleine débâcle, ramènent en Allemagne tous les objets déposés au Musée de la Bataille.
Peu à peu, les souvenirs s’effacent. Il n’y a plus de déplacement à Ménil.
Qui se souvient de l’engagement d’Ubayens dans ces terribles combats au sein du 157ème Régiment d’Infanterie de Ligne ?
Merci à l’Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins et à toutes les associations patriotiques soucieuses du devoir de mémoire de nous rappeler cet épisode douloureux de notre histoire, ce drame hélas quelque peu oublié, près de 95 ans après.

Durant la minute de silence qui va suivre le dépôt de gerbes, que nos pensées aillent vers :

Albert GILLY, Valentin ARMANDO, Louis GRAUGNARD, Gaston et Antoine MARTEL de Barcelonnette,
Félix CHIARDOLA, Jules FABRE, Joseph AUDIFFRED du Chatelard,
Joseph MEYSSIREL, Maximin AILHAUD, Joseph BERNARDI, Paul ARNAUD de Faucon,
Elie BELLON et Louis FERAUD de Fours,
Antoine et Augustin LEBRE, Marie-Aimé DERBEZ, Eugène HERMELIN, Jean ESMIEU de Méolans,
Etienne BLANC de St-Paul,
Louis BERNARD de St-Vincent,
François GRAUGNARD et Jean RAYNAUD des Thuiles,
Joseph LOMBARD et Eugène MARQUETTY de Larche,
tous ces jeunes gens de notre vallée tombés au Champ d’Honneur à Ménil-sur-Belvitte dans les Vosges, le 28 août 1914.

Mais nos pensées vont également à ces 454 autres combattants de notre vallée « Morts pour la France » entre août 1914 et novembre 1918 dont les noms sont gravés pour l’éternité sur ce monument derrière moi, monument aux morts conçu par le célèbre sculpteur Paul Landowski et inauguré en grande pompe en 1922.

Colonel Hubert Tassel,  Président de l'Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins.
[ Texte écrit pour la cérémonie commémorative du 11 novembre 2009 à Barcelonnette ]


 


Le drapeau du 157e RIA

Ménil sur Belvitte
Le Col de la Chipote à la croisée des routes,
surnommé par les Allemands "Le Col de la Mort".

 

Ménil sur Belvitte
Raon l'Étape (Col de la Chipote)
La Tranchée de la Mort où gisent, pèle-mêle, Français et Allemands.

 

Ménil sur Belvitte
La Chipote
Les Tombes sur la Route de Saint Benoît.

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte - Centre du Village (25 Août, 12 Septembre 1914)
Honneur au Sous-Lieutenant Paoli Jean, 157e.

 

« Le sous-lieutenant Paoli installé dans une maison située dans la rue principale juste en face du château occupé par les Allemands, s’aperçoit que ceux-ci s’infiltrent dans la partie du village où se trouvait les Français.
Dissimulé derrière une fenêtre, le sous-lieutenant Paoli les abat tranquillement au fur et à mesure. Deux soldats restés avec lui arment les fusils et les lui passent. Exaspérés, les Allemands réussissent par un mouvement tournant à gagner une grange attenante à la maison et l’incendient. Le sous- lieutenant Paoli complètement isolé, car les Français submergés par une contre-attaque ont dû abandonner le Ménil, va trouver dans les flammes une mort glorieuse avec ses deux compagnons ».
[ Historique du 157e Régiment d'Infanterie (PDF) ]

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte - Nord-Est (Calvaire)
Tombe de 22 soldats français

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte - Les Tombes des Officiers et Soldats du 157e

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte (Sud-Ouest) - Grande Tombe du 157e

 

Ménil sur Belvitte
La grande Tombe du 157e - Le salut aux Braves

 

Ménil sur Belvitte
Remise de la Croix de guerre avec palme au Curé de Ménil sur Belvitte, 18 Décembre 1916.

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte cité à l'Ordre de l'Armée - Le Monument aux 17 Héros du Village
M. A. Poignon, Maire - M. l'Abbé A. Collé, Curé - Drapeaux en soie tricolore des Villes de France : (de gauche à droite)
Gap, Metz, Aurillac, Chambéry, Grenoble, Barcelonnette, Montbrison, Lyon, Mulhouse, Roanne, St-Etienne, Le Puy-en-Velay,
Briançon et Dijon. Sur le Monument : Au centre, Ménil à ses Heros ; à droite, Nice ; à gauche, Clermont-Ferrand.

 

Ménil sur Belvitte
Inauguration d'un Monument élevé aux Héros de la Chipote

 

Ménil sur Belvitte
Le 28 Août 1917 à Ménil - Sur le Portail de l'Église en ruines - Mgr Foucault, Maurice Barrès,
entourés des Délégués des villes de Lyon, St-Etienne, Roanne, Le Puy, Montbrison,
Barcelonnette, Grenoble et Chambéry, avec leurs drapeaux.

 

Ménil sur Belvitte
Le 28 Août 1917 au cimetière Sud-Est, à Ménil - Les drapeaux des villes de Lyon,
St-Etienne, Le Puy, Roanne, Montbrison, Grenoble, Chambéry, Barcelonnette,
s'inclinent sur les tombes militaires, tandis que la musique exécute la Marche de Chopin.

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte - Cérémonie du 4e Anniversaire (27 Août 1918)
Dans la Cour du Presbytère - Les drapeaux des villes et les fleurs avant la Cérémonie.
(On reconnait sur ce cliché le drapeau de Barcelonnette)

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte - Cérémonie du 4e Anniversaire (27 Août 1918)
L'entrée au Cimetière Nord-Est - Les Drapeaux des Villes de Lyon, St-Étienne, Le Puy,
Montbrison, Roanne, Dijon, Grenoble, Chambéry, Nice, Briançon, Barcelonnette.

 

Ménil sur Belvitte
Ménil sur Belvitte
Monument commémoratif du Cimetière militaire


 

Du 28 au 30 août 2010, une délégation ubayenne à participé aux cérémonies commémoratives à Ménil-sur-Belvitte.
Hubert Tassel, président de l'Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins, Bertrand Hubert, Christian Michel, Yvon Arnaud et René Jean ont rendu hommage aux 32 Ubayens morts pour la France.

 

Le drapeau de 1915
Le premier drapeau de Barcelonnette réalisé par les élèves de l'école primaire en 1915.

Le drapeau de Barcelonnette
Le drapeau en soie de Barcelonnette
façonné par les dames de la Croix-Rouge en 1917.