Vers 1140 des moines chalaisiens venant de l'abbaye de Boscodon se sont installés à Faucon petite localité de la vallée de l'Ubaye. Leur vie était faite de dur labeur car ils ont dû défricher en partie les terres envahies par les forêts pour créer leur domaine. Ils vivaient de l'élevage des moutons (on disait que c'était un ordre moutonnier). Ceux-ci leur fournissaient notamment la laine dont ils faisaient le drap de leurs vêtements ainsi que le lait des brebis pour la fabrication de fromages. Ils tiraient également des revenus des arbres qu'ils abattaient et qu'ils envoyaient par flottage ou radelage dans la rivière vers la basse vallée.
On ne sait comment un des frères ramena d'Afrique (appelée aussi Barbarie) quelques œufs d'autruche qu'ils eurent l'idée de faire couver en les enveloppant de laine placée dans un chaudron tout près du feu de la cheminée. Leur étonnement fut grand lorsqu'ils virent la taille des poussins sortis des œufs. Néanmoins ils arrivèrent à les élever et ils pensèrent qu'ils pourraient tirer un profit des ces animaux. Pour ce faire ils bâtirent un enclos dans un champ appelé "les gouergues" tout près du ruisseau de Buriane qui fournirait l'eau pour boire, avec un abri fermé de trois côtés, muni d'une porte pour tout clore pendant les jours de très grand froid.
L'élevage prospéra longtemps. Les plumes magnifiques allèrent orner les chapeaux des damoiseaux et les robes des dames de la cour du Comte de Provence. Quelques œufs amélioraient parfois l'ordinaire lors de la visite du Père Abbé de Boscodon.
La vie du couvent de Faucon s'est ainsi poursuivie jusqu'au début du XVe siècle, où le recrutement des moines se faisant beaucoup plus difficile, ils durent se résoudre à abandonner ce village pour réintégrer la maison-mère à Boscodon. Il n'est resté de leur établissement que quelques bâtiments à l'entrée du village, transformés depuis en vaste habitation, les terrains qui constituaient leur domaine, toujours à vocation agricole et leur chapelle qui après avoir été la chapelle des Pénitents du village est devenue aujourd'hui la salle des fêtes. La musique de danse a remplacé le chant grégorien...
A la fin du XIXe siècle on a planté une croix de mission à l'entrée du village près du ruisseau de Buriane. En creusant le sol pour placer la croix on a trouvé deux œufs d'autruche en partie fossilisés. On pense qu'ils sont allés enrichir les collections de François Arnaud ou du Dr Ollivier, les deux érudits de Barcelonnette. Ces collections ont été vendues après leur mort et nul ne sait ce que sont devenu les malheureux œufs, premiers vestiges d'une tentative d'élevage d'animaux exotiques dans la vallée de l'Ubaye.
J.C.
N.B. : Tout dans ce récit est parfaitement authentique, ormis bien sûr les autruches avec leurs œufs qui ont été imaginés par Josette Chambonnet pour un canular de premier avril ! |