Le tunnel du Parpaillon

Col et tunnel du Parpaillon

par Michel Masse

 



    
Entrées du tunnel du Parpaillon côté Sud et côté Nord.

A la fin du XIXe siècle les routes de nos vallées alpines étaient fort mal entretenues et en très mauvais état ce qui rendait les déplacements, même dans les vallées, longs et périlleux.

La psychose d'une menace venant de l'est des Alpes décida les autorités militaires à entreprendre, comme l'avaient fait quelques siècles plus tôt Vauban et Catinat, des grands travaux afin de faciliter la mobilité des troupes entre les différentes vallées.

Le général Baron Berge, Gouverneur militaire de Lyon et commandant de l'armée des Alpes, décida donc de relier toutes les vallées par des routes empruntant les cols, souvent très hauts mais qui avaient l'avantage de réduire le temps des déplacements en évitant d'aller tourner dans le bas de chaque vallée.

Ainsi les routes du col du Galibier, de l'Isoard, de sommet Buchet (au dessus du fort de Chateau-Queyras), du Parpaillon, d'Allos, du Restefond et de bien d'autres furent créées ou améliorées .

Dans ce dispositif le passage par le col du Parpaillon reliant l'Embrunais (Hautes-Alpes) et la haute Ubaye (La Condamine, le fort de Tournoux dans les Alpes de Haute-Provence) devenait un point central et stratégique du dispositif puisqu'il évitait le passage pat l'Ile de Rousset et la longue et périlleuse remontée de la vallée de l'Ubaye par les terribles tourniquets du Pas de la Tour.

Il n'existait à l'époque qu'un chemin muletier impraticable durant de longs mois en hiver et où il était impossible de faire passer de lourdes pièces d'artillerie.

Côté Embrunais, la pente est douce, il sera assez facile de créer une route traversant la forêt de Crévoux puis débouchant dans les prairies de haute altitude, atteignant le pied d'une barre rocheuse, dernier obstacle avant de franchir le col proprement dit, situé à 2.845 mètres d'altitude.

Du côté de La Condamine (versant sud) la pente est plus raide et la route devra décrire de nombreux lacets pour atteindre la vallée.

Afin de diminuer cet ultime obstacle avant le col il sera décidé de construire un tunnel situé 195 mètres au dessous du col, il aura 466,80 mètres de long ce qui est énorme pour l'époque.

Les premiers travaux vont commencer au printemps 1891 mais la très haute altitude n'autorise le travail que quelques mois par an et encore dans des conditions souvent délicates ; neige et froid comme en témoigne cette carte postale, prise en juillet, de la plateforme de la tête nord située à 2.648 mètres (et non pas 3.000 mètres !) et recouverte de 15 bons centimètres de neige fraiche tombée sur un névé de 5 mètres de haut, ce qui n'est pas pareil !

Le percement de la galerie se fera dans des conditions très dures et avec des outils souvent rudimentaires : pioches et brouettes. Toutefois on voit parfaitement sur la carte postale représentant le chantier du côté nord l'installation d'un chemin de fer sur lequel roule un wagonnet servant à évacuer les roches et à transporter les poutres utilisées pour étayer le tunnel.

Le 31 juillet 1897 à 11 heures 30 du soir les ouvriers civils et militaires qui, sous la direction de Monsieur David, capitaine du génie, travaillaient de chaque côté de la montagne au percement du tunnel, se rencontrèrent après un dernier coup de mine. La galerie aura 5,30 mètres de haut et 5,10 mètres de large.

Cette exceptionnelle photographie prise au magnésium le 12 octobre 1897 à l'intérieur du tunnel nous montre l’extrême difficulté du travail et l'exécution manuelle du creusement et du transport des matériaux.

Avec de si pénibles conditions de travail "la soupe" devait être un moment fort apprécié comme en témoigne la belle carte postale ci-dessous;



On remarquera sur ce cliché un "rajout" dans le paysage : cette magnifique montagne type "Fuji-Yama" n'a rien à faire dans nos paysages hauts alpins si ce n'est donner un air d'estampe japonaise à cette scène.

La construction nécessite l'utilisation de nombreux matériaux qui furent acheminés sur place grace à un cable métallique que le génie installa côté sud (500 m de long) ; la recette supérieure se trouve à quelques mètres de l'entrée sud du tunnel que l'on distingue parfaitement sur ce cliché.

    

On remarquera l'ouvrage en maçonnerie de pierre taillée qui protège des éboulis l'entrée du tunnel.

Le col se situe juste dans l'axe du refuge qui n'existe plus actuellement, seuls subsistent quelques murets de 1,50 mètres de haut.

La vie étant très pénible à ces altitudes, les militaires avaient installé leur cantonnement plus bas (vers 2.000 mètres) sur les deux versants de la montagne.

Côté Ubaye on constate qu'ils avaient bien fait les choses et que la cuisine était particulièrement bien soignée, on voit parfaitement sur la carte postale la route qui part vers le col dans les éboulis au dessus des toits des baraques.


Camp au Parpaillon [coll. X]


Col du Parpaillon 1897 [photo coll. R. Pallon]




Départ du Parpaillon [photo coll. J. Lagier]


Vue des travaux de la route du col du Parpaillon [photo coll. R. Pallon]


Montée d'une compagnie au Parpaillon [photo coll. J. Lagier]

Malgré tous ces considérables travaux il ne devait pas toujours être aisé d'emprunter de telles routes de montagne.

Une carte postale prise à quelques kilomètres de là sur la route du col de Restefond donne une idée assez précise de la difficulté de faire circuler un attelage lourdement chargé sur ces routes escarpées et sinueuses.

Les voitures utilisent aussi très tôt cette route qui restera de nombreuses années la route la plus haute d'Europe.

Cette armée de chasseurs alpins, de soldats du génie, d'ouvriers civils, déployant pendant de nombreuses années une activité fébrile de fourmis, nous ont laissé sur 50 kilomètres une route magnifique qui n'est toujours pas goudronnée sur une douzaine de kilomètres et qui, grâce à cela, donne accès à un havre de paix et de silence aux randonneurs à pieds ou à bicyclette qui peuvent ainsi jouir d'un paysage hors mesure, sauvage et grandiose.

Si vous possédez d'autres cartes postales non reproduites ici, veuillez me le faire connaître en m'envoyant les photocopies, je vous en remercie d'avance.

(Article paru dans " Les Alpes : jadis et naguère ", bulletin
du Club Cartophile des Alpes du Sud n° 47 - Janv. 1995)



Un tunnel de l'organisation défensive de l'Ubaye

Tunnel du Parpaillon
Entrée du tunnel côté Nord. [coll. J. Lagier]

Dès 1694, l'ingénieur Richerand avait proposé l'aménagement d'un itinéraire en rocade entre Tournoux et Embrun passant par le col des Orres ou le Parpaillon, ceci dans le but de s'assurer une communication sûre entre Tournoux et l'arrière-pays. Les commandants de l'armée des Alpes, créée vers 1886-1888, tinrent à adapter l'organisation du terrain à leur conception de la défense. Ainsi furent construits la route militaire La Condamine-Crévoux et le tunnel sous le col du Parpaillon. Les travaux, dirigés par le Génie, furent exécutés entre 1890 et 1900. Deux inscriptions, de part et d'autre de la baie du tunnel, donnent les terminus de sa datation. Sur la plaque de droite est gravé "Général Berge Gouverneur militaire de Lyon 1892". Sur la plaque de gauche est gravé "Général Zédé Gouverneur militaire de Lyon 1900".

    

    

   
Entrée du tunnel [coll. R. Pallon et X]


Un peloton de chasseurs alpins motocyclistes devant l'entrée du tunnel en 1934. [photo coll. G. Bonnard]


La neige recouvre l'entrée du tunnel [photo coll. G. Bonnard]


Entrée du tunnel [photo coll. X]

 

   Espagnols républicains sur la route du Parpaillon

En 1939 deux compagnies de travailleurs étrangers, des espagnols républicains, participèrent à l'aménagement de la route (la 11ème C.T.E.) et la réfection du tunnel (la 10ème C.T.E.) du Parpaillon.
Il subsiste encore des traces des campements et une cabane dite des espagnols.
Vous trouverez des témoignages et photos dans une publication de la Sabença de 2010 et sur le site d'Alban Sanz Cartas del exilio.
Parcours de la 11e C.T.E. =>

 


Commentaires (16)

Sebastian Lutz
  • 1. Sebastian Lutz | 19/08/2023
Merci pour ce reportage détaillé et très intéressant. En août 2020, j'ai eu du mal avec le vélo de gravier et je pouvais imaginer la douleur des ouvriers et des soldats. Dans la descente, j'ai dû rendre hommage au terrain accidenté et réparer 2 crevaisons. Néanmoins, une expérience inoubliable et impressionnante.
Lonewolf
  • 2. Lonewolf | 03/05/2020
J'ai fais le trajet dans le sens Jausiers vers Embrun (d'Est en Ouest), avec ma 1300 XJR équipée d'un carénage intégral. Un peu délicat dans le tunnel et dans la descente ! Mais cet itinéraire est somptueux, grandiose, et il a l'avantage de pouvoir être parcouru par une grande majorité de motos, pas seulement les trails ou enduros. Ca laisse un souvenir mémorable. Le tunnel mériterait un minimum de soins, parce que certains pans de mur s'effondrent et le sol est par endroits très dégradés (trous profonds). C'est un patrimoine qu'il faut absolument conserver mais aussi laisser entièrement accessible.
Une des routes les plus mémorables qu'on puisse s'offrir en France.
Coat
  • 3. Coat | 11/06/2019
Tres beau reportage.je compte m'y rendre bientôt en moto.
PRANDI
  • 4. PRANDI | 06/04/2019
Ayant grandi a la Condamine Châtelard a la colo de l'enfance populaire de NICE , j'ai fait la montée plusieurs fois à pied depuis la chapelle de St Anne et ca fait bien longtemps j'en garde plein les yeux de ce merveilleux site grandiose et cette vue une fois sortie à l'autre bout du tunnel ….Merci infiniment pour ce beau reportage Gé
Alain guinot
  • 5. Alain guinot | 21/03/2019
Bravo pour votre reportage
Je fait chaque annee la montee et descente du parpaillon a moto et c est grandiose a chaque fois
Merci a tout ces courageux qui ont crees cette piste
Guillaume
  • 6. Guillaume | 05/10/2017
Très bel article ! merci !
T ISABELLE
  • 7. T ISABELLE | 01/08/2016
magnifique reportage ! On a découvert hier cette route et ce tunnel....Enorme travail! ....une vue saisissante! a voir et recommander!
Lombardi Jean-Louis
  • 8. Lombardi Jean-Louis | 22/12/2015
Magnifique reportage qui nous fait comprendre les origines de cet ouvrage exceptionnel. Je l'avais découvert il y a quelques années au cours d'une randonnée au départ de Saint Anne au coeur de paysages grandioses.
Gérard PARPAILLON
  • 9. Gérard PARPAILLON | 25/03/2015
quelqu'un sait il pourquoi ce massif porte le nom de "PARPAILLON"
C'est aussi mon nom de famille et cela m'intrigue
merci a vous
DOUBET
  • 10. DOUBET | 18/09/2014
Merci pour ce magnifique reportage; ce col "muletier" m'a fait réver pendant plus de 10ans et j'ai eu l'occasion de le grimper par Ste Anne.
C'est une vrai cure de beauté dans ce paysage rugueux et majestueux
Sestier jacques
  • 11. Sestier jacques | 29/07/2014
magnifique présentation; un site qui laisse rêveur, un beau travail de documentation et de restitution; chapeau !
jean pierre
  • 12. jean pierre | 04/09/2013
magnifique paysage que le tunnel du PARPAILLON gigantesque realisation
il faut le prendre depuis la vallee de l'UBAYE par Saint Anne
a ne pas louper si vous etes dans l'Ubaye
14rct03
merci pour ce formidable travail de recherche
superbes photos
encore bravo
luc
  • 14. luc | 01/01/2013
j'ai eu le plaisir de franchir quelques fois le tunnel, et cette page en décrivant les facteurs humains est un regal
mabillot claude
  • 15. mabillot claude | 31/10/2012
Cycliste collectionneur de cols et membre du Club des Cent Cols j'ai refait avec mon épouse le Parpaillon ce 19 octobre. Relatant ma semaine en Ubaye je viens de visiter le site et ne manquerai pas d'en conseiller la fréquentation aux membres de notre club toujours intéressés par l'aspect historique et patrimonial des cols que nous franchissons.
Bekaert
  • 16. Bekaert | 20/06/2012
Très beau reportage historique de ce col mythique

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